Lors de la 5ème édition du West Data Festival, une conférence captivante a permis de faire le point sur les enjeux cruciaux que soulève l’utilisation des données dans le domaine de la santé. Le professeur des universités et praticien-hospitalier de la faculté de médecine de Nantes Université, Pierre-Antoine Gourraud, a su captiver son auditoire en exposant de manière claire et accessible l’importance de l’intégration des données dans le secteur médical par des exemples concrets.
Comme il le dit lui-même : “On a intérêt à mieux introduire cette notion des données de santé tant cette ressource et ses potentiels de création de valeur génèrent beaucoup d’engouement. La data est la ressource du nouveau millénaire”.
Santé et Big Data
Les données massives, appelées Big Data, sont au cœur de l’évolution de la médecine. Dans le domaine de la santé, elles soulèvent trois enjeux majeurs selon Pierre-Antoine Gourraud :
Rupture dans la volumétrie des données
Le premier enjeu est lié à la rupture dans la volumétrie des données. En effet, quels que soient les domaines médicaux, il y a désormais un avant et un après l’arrivée des données. L’outil informatique a révolutionné la manière de comprendre et d’analyser les données médicales. Il a offert de nouvelles opportunités pour la recherche et la pratique médicale.
Non intentionnalité des données
Le deuxième enjeu est lié à la non intentionnalité des données. Il est important de mettre l’accent sur les usages des données. En effet, les données ont été pensées dans un cadre ou un contexte spécifique. Que cela soit dans le cadre de la pratique courante ou pour un usage secondaire. Cependant, ces données n’ont pas été enregistrées dans le but de répondre à un usage précis. Et ceci peut poser des problèmes en termes de qualité et de pertinence.
Typologie des données
Le troisième enjeu identifié par Pierre-Antoine Gourraud est lié à la variété des typologies de données. Les sources de données peuvent être très différentes selon les contextes et les disciplines médicales. Par exemple, dans le cas des données d’hospitalisation, les données vont être spécifiques pour le diagnostic, le traitement, la biologie, l’imagerie, etc. Dans le domaine de la consommation de soins, les données vont intervenir dans les prescriptions, les données de l’Assurance Maladie, etc. On inclut également dans cette catégorie les données sociodémographiques, géographiques, météorologiques… Cette variété des sources de données rend leur intégration et leur analyse plus complexes. En effet, cela nécessite une adaptation constante des outils et des méthodes d’analyse.
Plusieurs sources de données
Dans le domaine de la santé, on distingue deux types de données : les données structurées et les données non structurées. Les premières sont composées de variables biologiques telles que le taux de glycémie sanguin, l’hémoglobine, ainsi que des données codées de l’activité humaine dans le cadre du soin. Dans cette catégorie, les valeurs sont connues et peuvent être décrites à l’avance.
Les données non structurées, quant à elles, comprennent les comptes rendus de consultation. Elles sont de plus en plus accessibles non seulement dans les établissements de santé, mais également au-delà. Les opérateurs, par exemple, facilitent l’échange de ces données entre les différents acteurs de la santé tout au long du parcours de soins du patient. Les données non structurées incluent des données de signal, telles que les électrocardiogrammes, des images comme les scanners et les IRM, ou encore les comptes rendus médicaux textuels.
La confidentialité est un enjeu important
La confidentialité des données de santé est un enjeu primordial. Ces données représentent la confiance accordée aux soignants et leur accès à l’intimité des patients. Ainsi, il est nécessaire de respecter leur confidentialité. Certaines données dites “directement identifiantes”, telles que le nom, le prénom ou le numéro de sécurité sociale, peuvent permettre la dé-identification d’un individu.
D’autres données, “indirectement identifiantes”, peuvent, par recoupement avec d’autres informations, permettre d’identifier un individu de façon unique.
Pseudonymiser les données de santé
Pour pallier ce risque, les données peuvent être pseudonymisées, c’est-à-dire associées à un pseudonyme qui permet de faire un lien avec l’individu. L’anonymisation, quant à elle, consiste à démontrer l’impossibilité de remonter à l’individu à l’origine des données. Il est donc primordial de déterminer les données dont on a vraiment besoin et de se poser la question de la dé-identification des individus à partir de ces données. Le principe de parcimonie est de rigueur pour garantir la confidentialité des données des patients, mais aussi des soignants.
Sécurité des données de santé
L’utilisation des données massives n’est pas sans risque et nécessite une attention particulière pour garantir la confidentialité et la sécurité des patients. La sécurité des données de santé est un enjeu crucial qu’il convient d’analyser sous différents angles.
Quatre enjeux majeurs sont à considérer selon Pierre-Antoine Gourraud :
- La disponibilité qui fait référence à la rapidité et à la régularité de l’accès à une donnée.
- La traçabilité qui concerne la preuve de l’authenticité de l’utilisateur qui accède aux données.
- La confidentialité qui garantit le respect de la vie privée des patients et des utilisateurs. “ Qui a accès à quelles données et pour quoi faire ?”
- L’intégrité qui se rapporte à la bonne interprétation des données, qui pourrait être altérée par une mauvaise manipulation.
Les données du soin
Comme le dit Pierre-Antoine Gourraud, « Le patient est une partition dont les notes sont interprétées par les soignants, réinterprétées, enregistrées et conservées par d’autres contributeurs. ». Le monde de la santé est confronté à des données à la fois précieuses et sensibles. Les données issues du soin sont voulues comme non intentionnelles à des fins de recherche, mais elles reflètent une population réelle. De plus, elles peuvent être réutilisées pour évaluer et faire évaluer les pratiques.
“La valeur des données de santé résulte d’une chaîne de contributions multiples qui en accroissent la valeur d’usage.” Cette chaîne ne se limite pas seulement au patient qui est à l’origine des données, mais également au soignant et à sa pratique professionnelle. Le soignant est celui qui produit la donnée auprès du patient. L’établissement de santé, de son coté, doit investir dans l’infrastructure informatique nécessaire pour stocker ces données.
Cybersécurité et données de santé
La cybersécurité est un enjeu majeur dans le secteur de la santé et l’actualité nous rappelle à quel point le sous-investissement chronique dans les infrastructures informatiques des établissements de santé est un problème et un risque, même pour les soins.
Les usages du Big Data
- Pour optimiser la gestion du système de santé et améliorer les politiques de santé publique.
- Pour cibler des sous-groupes de patients et proposer des interventions personnalisées et améliorer la qualité des soins.
- Introduire un pôle quantitatif objectif dans la relation entre le patient et le soignant. Il peut être utilisé pour aider les médecins dans leur prise de décision thérapeutique. Ceci en leur fournissant des informations précises sur les effets des médicaments et les résultats des traitements.
- Faciliter le partage des données entre les professionnels de la santé et les établissements de soins pour une meilleure coordination. Et il permet de prédire et de mesurer l’incertitude des scénarios thérapeutiques.
- Détecter des événements anormaux tels que les infections nosocomiales, la stérilisation…
- Rechercher pour une “épidémiologie du 21ème siècle” qui combine des données de recherches et des données de soins.
- Soulever des enjeux pour la formation des professionnels de santé.
Le partage des données de santé
Le partage de données de santé est en train de se démocratiser grâce à la mise en place de plateformes de partage de données de santé telles que le Système National des Données de Santé (SNDS), Hôpitaux Universitaires Grand Ouest (HUGO), Health Data Hub , entrepôt local de données biomédicales, etc. Cela facilite l’accès aux données provenant de sources multiples comme les hôpitaux, les pharmacies, les laboratoires de biologie, etc. Ces plateformes permettent des environnements sécurisés pour protéger les données sensibles.
Elles valorisent le patrimoine de données de santé et permettent la création de hubs nationaux et locaux pour centraliser les données de santé. Toutefois, ces plateformes ont des limites et ne peuvent pas fournir certaines données cliniques, les résultats paracliniques, les données sur les médicaments non remboursés, les données sur les revenus, etc. De plus, il est souvent difficile de chaîner les données d’un établissement à un autre. Les données partagées sont donc souvent très synthétiques et ne permettent pas une analyse en profondeur de la situation médicale d’un patient.
Le digital et les données de santé
Le digital s’inscrit dans un élargissement de la relation soigné-soignant. En effet, comme l’a dit Georges Canguilhem : “Depuis le vieux stéthoscope jusqu’au jeune appareil à résonance magnétique nucléaire, l’acte médical éclate dans la substitution symbolique du laboratoire d’examens au cabinet de consultation.” Le digital a un rôle de médiateur renforcé du soignant.
Pierre-Antoine Gourraud termine son intervention en partageant un article publié dans les colonnes du Figaro datant du 12 septembre 2022 : “Repenser la production des données de santé”. Cet article disait qu’il ne faut pas avoir une vision trop naïve de la production des données de santé. Ainsi, si les producteurs de données de santé produisent, c’est plus au sens musical qu’au sens agricole”.
Le récap’
L’utilisation des données est en train de transformer le domaine de la santé. Elle permet une meilleure compréhension des besoins et des comportements des patients. De plus, elle facilite le travail des professionnels de la santé. Cependant, la prise en compte des données soulève également des enjeux importants. Par conséquent, il essentiel de mettre en place des méthodes efficaces pour collecter, stocker, analyser et protéger les données. Les différentes sources de données, la confidentialité et la sécurité sont également des aspects clés à considérer. Malgré ces défis, l’exploitation des données offre des opportunités immenses pour améliorer la qualité des soins, la prévention et la prise en charge des patients.
Le West Data Festival, organisé par Laval Mayenne Technopole, a permis de mettre en avant ces enjeux et de sensibiliser les acteurs de la santé à l’importance de l’utilisation des données dans leur domaine.
Pour comprendre les objectifs, les limites et les futurs défis auxquels seront confrontés les personnels soignants , nous vous invitons à lire cet article.